La plus vieille école de ninjutsu au Québec
Quelques anecdotes du Japon
Kaeru
L’un des trois animaux fétiches du togakure est kaeru 蛙, la grenouille. La langue japonaise plus que bien d’autres langues permet de jouer sur la phonétique des mots. Kaeru 帰る signifie également de revenir à la maison, de rentrer sain et sauf d’une mission, par exemple. Un jour lors d’une séance de calligraphie, j’ai demandé à Hatsumi sensei de me dessiner une grenouille. Il m’a regardé avec un grand sourire puis a froncé les sourcils comme s’il commençait à peindre l’animal dans sa tête avant de le coucher sur le papier. Puis d’un geste fluide, il a commencé à faire les contours. Changement de pinceau, la couleur verte se déposa à son tour. Soke regarde son oeuvre, puis il se mit à rire de bon coeur et me regarda en disant quelque chose comme quoi il n’était pas certain que c’était une grenouille. Il reprit un pinceau et fit un point d’interrogation en affichant un large sourire. Cette calligraphie qu’il qualifia de manquée est l’une de mes préférés. Le regard amusé de Soke est quelque chose qui restera gravé à jamais dans ma mémoire.
Avec Soke chez l’antiquaire janvier 2015
Après le cours, Soke est venu me voir et m’a dit : « Toi, tu t’en viens avec moi ». Bref le genre d’invitation qu’on ne refuse jamais. Avec quelques étudiants, nous sommes allés dans une boutique d’antiquité, un paradis pour un ninja lorsqu’on a suffisamment d’argent pour se laisser aller, ce qui n’était malheureusement pas mon cas. Mais j’ai adoré cette opportunité. À un certain moment, je regardais une pipe traditionnelle antique dans une vitrine. Soke est venu me voir et m’ai expliqué que lorsqu’un samouraï entrait dans un château, dans bien des cas il ne pouvait garder ses armes. Alors cette pipe pouvait servir d’arme de défense. Soke a pris quelques minutes pour expliquer différentes techniques et manières d’utiliser cette arme d’allure inoffensive. Il a terminé en me disant qu’à partir de ces quelques principes, je pouvais développer différentes façons de les utiliser.
Soke a regardé plusieurs parchemins. J’étais fasciné de voir la concentration qu’il mettait en examinant chacun des rouleaux. Il paraissait être dans une bulle en dehors de notre temps. C’est probablement cela être ici et maintenant. La boutique n’était pas grande, mais chaque article semblait avoir une histoire. Bref, c’est le genre d’après-midi que l’on n’oublie jamais.
Un lien avec Takamatsu sensei
J’étais chez Soke lorsqu’il me fit signe d’attendre. Il était occupé à écrire quelque chose. Puis, il a pris un peu de recul pour examiner ce qu’il venait de faire et hocha la tête d’un air satisfait. Il me remit ce qu’il venait d’écrire. C’était une copie du premier poème que Takamatsu sensei lui avait transmise. Le poème de Takamatsu sensei peut se traduire par : la patience est ce qui va développer le coeur et qui doit nous permettre de progresser dans le budo de façon harmonieuse et de polir les techniques que l'on possède. Cela nous dit également de persévérer dans notre apprentissage martial. La partie de gauche explique que c'est un poème qui vient du togakure ryu.
J’étais surpris qu’il me donne cette calligraphie. En le regardant le Daruma apparaître, je me disais que c’était superbe. J’espérais qu’il l’affiche dans le dojo pour que tous puissent en profiter. Je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’il me l’offre. Encore un moment que je n’oublierai jamais. C’est un peu comme s’il nous avait offert à moi et à notre dojo, un lien avec Takamatsu sensei.
Le mémorial de takamatsu sensei
En 2012, Hatsumi sensei nous a intercepté moi et Francine et nous demandant si nous étions intéressés à aller voir le mémorial de Takamatsu sensei, une offre qui ne se refuse pas. Nous étions un petit groupe à l’accompagner. Comme nous n’avions pas mangé, nous sommes arrêtés dans un dépanneur pour prendre quelques sandwichs gracieusement offerts par Soke. Devant la bière Hatsumi sensei nous dit que nous pouvions en prendre, ceux qui le désiraient. Francine et moi ainsi que quelques Japonais nous nous sommes abstenus pendant que la plupart des autres occidentaux acceptèrent l’offre. Nous nous sommes dit que nous allions vers une destination plus spirituelle que festive. Une Japonaise habituée d’accompagner les groupes sourit en voyant que nous refusions la bière. Nous lui avons expliqué pourquoi, et elle nous répondit simplement que c’était un test de la part d’Hatsumi sensei.
Un drôle de hasard
En 2001 c’était mon second voyage au Japon. Bien sûr, j’avais vu Hatsumi sensei dans les Taikai aux É.-U.. Mais rien de personnel, il ne me connaissait pas, je n’étais qu’un participant parmi tant d’autres. Toujours est-il qu’en 2001, nous étions au Budokan pour le Daikomyosai. Je ne me souviens pas si c’était durant le Daikomyosai ou après un cours régulier, mais comme nous étions collés sur la période du Daikomyosai, il y avait foule. Complètement de l’autre côté de la salle, Hatsumi fouilla dans un sac et en sortit quelque chose. Puis, sans aucune hésitation, il se dirigea vers moi. « Tiens, c’est ma cravate favorite, je tenais à te l’offrir ». Il me donna une cravate aux motifs de Don Quichote de Cervantes. Au crayon de feutre noir, il ajouta sa signature. Quel étrange cadeau direz-vous? Le plus curieux est qu’une semaine avant de partir pour le Japon, moi et Francine étions allés voir une représentation de l’opéra de Jacques Brel, Don Quichote de la mancha. Méchant hasard que sur presque 200 personnes, il me remit cette cravate à moi. D’ailleurs, qu’est-ce qui aurait pu le pousser à apporter sa cravate à un cours? Je lui ai déjà posé la question à ce sujet, il s’est contenté de sourire.
Des policiers m’ont à l’oeil à l’aéroport
Vous êtes assis dans un aéroport international. Ici, nous sommes à Haneda en banlieue de Tokyo. Des policiers vous jettent un coup d’oeil, rien de bien dérangeant. Mais à plusieurs reprises vous vous sentez observer. Les policiers ne vous lâchent pas. Vous commencez à vous demander ce qu’ils peuvent bien vous vouloir. Puis l’un d’entre eux se dirige vers vous. Vous vous dites que ça y est, même si vous n’avez rien fait, vous risquez d’avoir des ennuis, les policiers ne s’amusent pas à regarder tout le monde de cette façon. Le policier s’approche et dit en japonais « Est-ce que vous êtes M. Grégoire ». « Oui, c’est à quel sujet?». « Nous utilisons vos techniques de défense contre couteau dans notre entraînement». Peut-être deux ou trois ans auparavant, à la demande du propriétaire de la compagnie Quest, j’avais fait au Japon une vidéo sur diverses techniques de défense contre des attaques au couteau. C’est avec surprise que j’ai appris que la sécurité de l’aéroport utilisait mes techniques. C’est flatteur et c’est surtout relaxant d’apprendre cela après que la police vous ait épiés un long moment.